Enzo Lefort : « En escrime comme en photo, il faut attendre le bon moment »

30 avril 2024

L’escrimeur français n’est pas qu’un athlète de haut niveau. Également photographe, il réalise des clichés des coulisses de compétitions, compilés dans le livre Journal d’un Athlète, à paraître le 5 juin chez Fisheye Éditions, et à retrouver à la Samaritaine. En attendant, il expose ses images dans le grand magasin et se confie sur les nombreuses passions qui l’animent.

Comment avez-vous commencé la photographie ?

En 2014, d’abord au numérique. Je voyage beaucoup grâce au sport, j’ai commencé à prendre beaucoup de photos pendant mes déplacements, mais j’en ai vite eu assez de tout trier. Je m’y suis remis en 2018, à l’argentique cette fois. Avec cette pratique, mon travail s’est amélioré parce que ça m’obligeait à être plus exigeant et à faire des choix. Et puis j’aime le rendu, son grain si particulier.

Qu’est-ce qui vous attirait dans cet art ?

Je côtoyais pas mal de photographes dans le cadre du sport, comme Julien Soulier, j’étais fasciné par son appareil ! Je me suis intéressé ensuite à l’art au sens global. Au début, je photographiais Paris, mes voyages, comme une sorte de journal de bord… En fait, j’ai envie de sublimer des scènes du quotidien. L’exigence en amont me permet de ne pas avoir de travail en post-prod, je ne retouche presque pas mes photos.

Vous êtes escrimeur professionnel, qu’est-ce que cette discipline vous a appris ?

Ça m’a façonné. J’ai appris la résilience, la valeur du travail, l’ouverture d’esprit, la gestion de la pression, et à savoir me relever des échecs. J’ai aussi un diplôme de kinésithérapeute, ça m’a beaucoup enseigné sur le corps, je suis très à l’écoute, j’essaie d’en prendre soin. Mes entraîneurs ont su entendre ça, ils me laissent faire du yoga par exemple, ça me fait du bien de faire un autre genre de sport.

Quels points communs voyez-vous entre le sport et la photo ?

En escrime, on essaie toujours de trouver le bon moment pour placer son attaque. C’est la même chose en photo, il faut attendre le bon moment pour saisir l’instant. Mais ce qui me plaît dans la pratique de la photographie, c’est justement que c’est différent, je fais cela uniquement pour le plaisir, sans aucune pression, contrairement au sport.

Vous avez publié plusieurs livres de photographies autour du sport (Behind The Mask et Olympic Backstage chez Fisheye Éditions) qu’essayez-vous de capturer ?

J’essaie de ne surtout pas faire du premier degré, ça ne m’intéresse pas. Je veux capturer la sensibilité du sportif, offrir une vision différente. Quand je vois une performance, ce qui me saute aux yeux, c’est la beauté du geste, les à-côtés, les heures d'entraînement, les sacrifices, les blessures… Je veux montrer leurs personnalités, les êtres humains derrière les athlètes. Comme je suis sportif aussi, j’ai un rapport privilégié avec eux, c’est plus authentique.

Comment se prépare-t-on physiquement et psychologiquement aux Jeux Olympiques ?

Longtemps à l’avance ! C’est d’ailleurs tout l’objet du livre qui paraît en juin, Journal d’un Athlète chez Fisheye Éditions : le long chemin que représente la qualification. En escrime, ça dure un an, c’est déjà très éprouvant et ensuite seulement on peut commencer à se préparer aux JO. C'est un vrai marathon. Il faut faire en sorte que le corps et le mental soient prêts, s'affûter comme une lame. Avec l'expérience, je sais que chaque compétition est différente, et la préparation l’est aussi. Je m’adapte, je me remets en question à chaque fois. C’est ça le secret.

Qu’attendez-vous de ces jeux ?

De ramener des médailles individuelles et par équipe ! Plus globalement, j’espère que ça va permettre que le sport prenne une plus grande place dans la société française. Je suis persuadé qu’on gagnerait à le remettre au centre, à commencer par l’école. Le sport inculque le respect, l’estime de soi et le dépassement. C'est un outil formidable.

Pouvez-vous nous parler de l’exposition à la Samaritaine, qu’allons-nous voir ?

J’ai sélectionné des photos liées au sport, sous un angle différent. On ne voit aucun visage, mais des natures mortes, des fragments de corps, des étirements, des mains avec leurs rugosités, des lieux comme des tribunes ou des tatamis… C’est tout l'écosystème du sport, hors performance et compétition, que l’on voit dans cette exposition. Le message final est suggéré, flou, poétique. Ça laisse place à l’imaginaire !

Qu’incarne le grand magasin pour vous ?

C’est un morceau de l'histoire de Paris ! Le travail de restauration est incroyable, on lui a donné un nouveau souffle, en remettant au goût du jour ses infrastructures. C’est une vraie cohabitation entre le passé et la modernité.

La Samaritaine accueille aussi l’exposition « Les légendes mondiales du sport ». Quel rapport avez-vous aux objets liés aux compétitions ?

Je garde précieusement les médailles, même si je ne les expose pas, parce que je ne veux pas me reposer sur mes lauriers. Il y a en revanche un seul vêtement que j’ai gardé pour sa valeur sentimentale. J’ai commencé l’escrime grâce à Laura Flessel, que j’ai découverte quand elle a gagné son titre à Atlanta en 1996. Plus tard, j’ai eu la chance de défiler près d’elle lors de la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Londres en 2012. Bouleversée par sa défaite et parce que c’était la fin de sa carrière, elle a fondu en larmes, et son maquillage a coulé sur mon survêtement de l’équipe. Je l’ai toujours gardé en souvenir de cette émotion.

Quels sont vos prochains projets ?

J'écris un documentaire sur l’escrime en Guadeloupe, que je tournerai après les JO.

Il faut savoir que beaucoup d’escrimeurs français en équipe de France olympique sont ultramarins. Comment expliquer cela ? j’ai décidé d’enquêter. Je suis en train de découvrir tout un héritage, ça mérite qu’on s’y intéresse. Il sera co-produit par l'association lancée avec ma sœur, « Le Premier Rebond », qui veut faciliter l’accès au sport de haut niveau pour les sportifs ultramarins.

© Nelson Rosier